Katow, sans rien voir, sentait pres de lui la masse de deux corps. Il cherchait lui aussi, s’efforcant de vaincre sa nervosite, de poser sa main a plat, de dix centimetres en dix centimetres, partout ou il pouvait atteindre.
Leurs mains frolaient la sienne. Et tout a coup une des deux la prit, la serra, la conserva. «Meme si nous ne trouvons rien…» dit une des voix. Katow, lui aussi, serrait la main, a la limite des larmes, pris par cette pauvre fraternite sans visage, presque sans vraie voix (tous les chuchotements se ressemblent) qui lui etait donnee dans cette obscurite contre le plus grand don qu’il eut 417 jamais fait, et qui etait peut-etre fait en vain. Bien que Souen continuat a chercher, les deux mains restaient unies. L’etreinte devint soudain crispation: «Voila.» О resurrection!..
Mais: «Tu es sur que ce ne sont pas des cailloux?» demanda l’autre. Il y avait beaucoup de morceaux de platre par terre. «Donne!» dit Katow.
Du bout des doigts, il reconnut les formes.
Il les rendit — les rendit, — serra plus fort la main qui cherchait a nouveau la sienne, et attendit, tremblant des epaules, claquant des dents. «Pourvu que le cyanure ne soit pas decompose, malgre le papiei d’argent», pensa-t-il.
La main qu’il tenait tordit soudain la sienne, et, comme s’il eut communique par elle avec le corps perdu dans l’obscurite, il sentit que celui-ci se tendait. Il enviait cette suffocation convulsive. Presque en meme temps, l’autre: un cri etrangle auquel nul ne prit garde. Puis, rien.
Katow se sentit abandonne. Il se retourna sur le ventre-et attendit. Le tremblement de ses epaules ne cessait pas.
Au milieu de la nuit, l’officier revint. Dans un chahut3 d’armes heurtees, six soldats s’approcherent des condamnes.
Tous les prisonniers s’etaient reveilles. Le nouveau fanal, lui aussi, ne montrait que de longues formes confuses — des tombes4 dans la terre retournee, deja — et quelques reflets sur des yeux. Katow etait parvenu a se dresser.
Celui qui commandait l’escorte prit le bras de Kyo5 en sentit la raideur, saisit aussitot Souen celui- la aussi etait raide. Une rumeur se propageait, des premiers rangs des prisonniers aux derniers. Le chef d’escorte prit par le pied une jambe du premier, puis du second; elles retomberent, raides. Il appela l’officier.
Celui-ci fit les memes gestes. Parmi les prisonniers, la rumeur grossissait. L’officier regarda Katow . «Morts?» Pourquoi repondre! «Isolez les six prisonniers les plus preches ! — Inutile, repondit Katow; c’est moi qui leur ai donne le cyanure». L’officier hesita: «Et vous? demanda-t-il enfin. — Il n’y en avait que pour deux», repondit Katow avec une joie profonde*. La Condition humaine (1933).
418 Примечания: 1. Чуть изменившийся. 2. Прежде чем я поднес руку к своему телу 3 Шум, звон (разг.) 4. Тени людей, напоминающие свежевырытые могилы 5 Кио отравился пре- жде двух товарищей Катова. Вопросы: * Expliquez les raisons de cette «joie «. JEAN-PAUL SARTRE (ne en 1905) JEAN-PAUL SARTRE est le representant le plus eclatant de ce que nous appellerons l’existentialisme francais. On sait que, devant un monde ou regne l’absurde, Sartre en vient a poser que l’homme, s’il veut ‘justifier son existence, doit prendre parti, s’engager.
Tant pis pour qui laisse la mort tirer le trait final sous une vie mal justifiee: nous ne sommes rien d’autre que nos actes.
C’est cette these que Sartre parvient a illustrer en un dialogue extremement concret.
Ainsi Garcin, journaliste revolutionnaire qui a fui plutot que d’etre fusille, restera, maintenant qu’il est mort, un lache; et Ines, avec qui il se retrouve en enfer, demeure pres de lui comme «l’instrument charge de lui reprocher eternellement sa lachete». L’ENFER, C’EST LES AUTRES… GARCIN, la prenant aux epaules.
— Ecoute, chacun a son but, n’est-ce pas? Moi, je me foutais1 de l’argent, de l’amour. Je voulais etre un homme. Un dur.
J’ai tout mise sur le meme cheval.
Est-ce que c’est possible qu’on soit un lache quand on a choisi les chemins les plus dangereux? Peut-on juger une vie sur un seul acte? INES. — Pourquoi pas? Tu as reve trente ans que tu avais du c?ur2; et tu te passais mille petites faiblesses parce que tout est permis aux heros. Comme c’etait commode! Et puis, a l’heure du danger, on t’a mis au pied du mur3 et… tu as pris le train pour Mexico. GARCIN. — Je n’ai pas reve cet heroisme. Je l’ai choisi. On est ce qu’on veut. 419 INES.
— Prouve-le. Prouve que ce n’etait pas un reve. Seuls les actes decident de ce qu’on a voulu. GARC1N. — Je suis mort trop tot. On ne m’a pas laisse le temps de faire mes actes.
INES. — On meurt toujours trop tot — ou trop tard. Et cependant la vie est la, terminee; le trait est tire, il faut faire la somme. Tu n’es rien d’autre que ta vie*. GARCIN.
— Vipere! Tu as reponse a tout.
INES. — Allons! Allons!
Ne perds pas courage. Il doit t’etre facile de me persuader. Cherche des arguments, fais un effort. (Garcin hausse les epaules.) Eh bien, eh bien? Je t’avais dit que tu etais vulnerable.
Ah! Comme tu vas payer a present. Tu es un lache, Garcin, un lache parce que je le veux*. Je le veux, tu entends, je le veux! Et pourtant, vois comme je suis faible, un souffle. Je ne suis rien que le regard qui te voit, que cette pensee incolore qui te pense. (Il marche sur elle les mains ouvertes.) Ha! Elles s’ouvrent ces grosses mains d’homme. Mais qu’esperes-tu? On n’attrape pas les pensees avec les mains. Allons, tu n’as pas le choix: il faut me convaincre. Je te tiens.
ESTELLE4. — Garcin! GARCIN. — Quoi? ESTELLE. — Venge-toi. GARCIN. — Comment? ESTELLE. — Embrasse-moi, tu l’entendras chanter5. GARCIN. -C’est pourtant vrai, Ines. Tu me tiens, mais je te tiens aussi. (Il se penche sur Estelle. Ines pousse un cri.) INES. — Ha! Lache! Lache! Va! Va te faire consoler par les femmes. ESTELLE. — Chante, Ines, chante!
INES. — Le beau couple! Si tu voyais sa grosse patte posee a plat sur ton dos, froissant la chair et l’etoffe.
Il a les mains moites; il transpire. II laissera une marque bleue sur ta robe. ESTELLE. — Chante!
Chante!
Serre-moi plus fort contre toi, Garcin; elle en crevera (…). INES. — Eh bien, qu’attends-tu? Fais ce qu’on te dit. Garcin le lache tient dans ses bras Estelle l’infanticide. Les paris sont ouverts. Garcin le lache l’embrassera-t-il? Je vous vois, je vous vois; a moi seule Je suis une foule, 420 la foule, Garcin, la foule*, l’entends-tu? (Murmurant.) Lache!
Lache! Lache! Lache! En vain, tu me fuis, je ne te lacherai pas. Que vas-tu chercher sur ses levres? L’oubli? Mais je ne t’oublierai pas, moi. C’est moi qu’il faut convaincre. Moi. Viens, viens! Je t’attends. Tu vois, Estelle, il desserre son etreinte, il est docile comme un chien…
Tu ne l’auras pas!
GARCIN. — Il ne fera donc jamais nuit? INES. — Jamais. GARCIN. — Tu me verras toujours? INES.-Toujours. (Garcin abandonne Estelle et fait quelques pas dans la piece.
H s’approche du bronze .) GARCIN. — Le bronze… (// le caresse.) Eh bien! voici le moment.
Le bronze est la, je le contemple et je comprends que je suis en enfer.
Je vous dis que tout etait prevu. Ils avaient prevu que je me tiendrais devant cette cheminee, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi.
Tous ces regards qui me mangent… (7/ se retourne brusquement.) Ha! Vous n’etes que deux?
Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (Il rit.) Alors, c’est ca l’enfer.
Je n’aurais jamais cru… Vous vous rappelez: le soufre, le bucher, le gril7… Ah! quelle plaisanterie! Pas besoin de gril: l’enfer, c’est les Autres. Huis-Clos, scene V (1944). Примечания: 1. Я плевал (груб,} 2. Что у тебя достаточно мужества, отваги. 3 Тебя приперли к стене, нужно решить. 4. Молодая женщина, попавшая в ад за детоубийство 5 Услы- шишь, как он кричит. 6.
Имеются в виду бронзовые украшения, стоящие на камине 7. Жаровня, на которой поджаривают грешников. Также орудие пытки в средневеко- вье. Вопросы: * Expliquez le sens de ces expressions: «Tu n’es rien d’autre queta vie…»; «Tu es un lache parce que je le veux… » ** Que veut dire Ines? Ses paroles ne pre-parent-elles pas la formule finale: » L’enfer, c’est les Autres… «? 421 XVII. Французское искусство Первым делом следует задаться вопросом: существует ли фран- цузское искусство. Может быть, под этим словом скрывается некая абстракция? Может, скорей уж надо говорить о французской архитек- туре, французской живописи, французской музыке? И тем не менее, как бы ни были несходны эти виды искусства, между ними есть неко- торое семейное сходство, как и среди множеств и множеств тех, кем они были прославлены: где же еще могли родиться и жить Пьер Леско и Филибер Делорм, Мансар и Клод Перро, Ватто и Коро, Моне и Ре- нуар, Жан Гужон и Жермен Пилон, Рамо и Дебюсси, Форе и Равель, как не под небом Франции, среди «изысканных пейзажей», как писал Поль Верлен, — пейзажей, что заливает самый ясный в мире свет… И ни в коем случае не следует сводить французское искусство к нескольким утвердившимся шаблонам: сдержанность, профессиона- лизм, склонность к полутонам, умелое сочетание смеха и слез и т.п. Грандиозные кафедральные соборы, величественные сады Версаля, те гордые лица, что писал Филипп де Шампань, экзотическое новатор- ство Гогена, могучая суровость Родена, оркестровое неистовство Бер- лиоза — вот красноречивые и неопровержимые аргументы против слишком поспешного определения. Хотя и впрямь существует какая- то атмосфера сдержанности, уравновешенности, изящества и, если искать одно-единственное слово, меры, исключительно благоприятная для развития большинства французских художников. Долгое время, пока Франция искала себя, свое обличье, у нее не было собственной архитектуры.
Вернее, она вдохновлялась теми об- разцами, что принесли римские завоеватели — прославленными аре- нами, знаменитыми акведуками, а впоследствии, подпав под влияние христианства, стала строить романские церкви и соборы, само назва- ние которых уже ясно показывает, откуда они заимствованы. Но зато как только она начала осознавать себя, то сразу принялась воздвигать устремленные к небу готические соборы, именовавшиеся «opus fran- cigenum», в которых изысканность сочетается с масштабностью уже в 422 чисто французском соотношении. И пусть ренессансные замки несут на себе отпечаток итальянского изящества, — они были попыткой создать искусство по мерке человека и подготовили появление шедев- ров эпохи классицизма — Лувра и Версаля. В них точность линий, чувство пропорций, простота и строгость рисунка соединяются с пышностью, благородством, величественностью в единственном и неповторимом сочетании, которое кажется в точности соответст- вующим глубинным устремлениям французской архитектуры. Впо- следствии этот идеальный стиль, пожалуй, подвергся некоторой пор- че: он приобрел некоторую слащавость в XVIII в., тяжеловесность в иных сооружениях наполеоновской эпохи, бесполезную округлость плоти без мускулов в здании Парижской оперы. Ничего не поделаешь, ни Мариво, ни Шатобриан не сравнимы с Расином. И тем не менее это значительные писатели… Жан Фуке и братья Клуэ, Пуссен и Клод Лоррен, Ватто и Шарден, Делакруа и Коро, Мане и Ренуар, Сезанн и Гоген, Матисс и Руо — вот перечень, который легко продолжить, перечень, весьма красноречиво определяющий наиболее существенные достоинства французской живописи. И первым из них, наверное, должна быть названа преемст- венность, ибо в любую эпоху можно назвать значительные имена, следующие одно за другим без разрывов, без тех достойных сожале- ния периодов упадка, какие мы наблюдаем в итальянском искусстве после Кватроченто и Ренессанса или во фламандском искусстве после XVII в. Второе же, несомненно, многообразие, касается ли это рисун- ка или цвета, пастели или карикатуры, портрета или пейзажа, истори- ческой живописи или натюрморта — везде родина Энгра и Делакруа, Латура и Домье, Фрагонара и Коро, Давида и Шардена блистательно проявила себя. Добавим к этим достоинствам оригинальность, стрем- ление не поддаваться иностранным влияниям, а главное, начиная с импрессионистов, чувство риска и поиска; после них во Франции поя- вилось такое количество талантов, и самые мощные из них, дерзко соперничая друг с другом, открывают сотни дорог изумленному миру. Сколько славных имен от Жоскена де Пре до Клода Дебюс’си, от Рамо до Мориса Равеля отмечают как вехи историю французской му- зыки! Однако наши композиторы долгое время терпели двойную кон- куренцию — итальянцев и немцев. Впрочем, французы частенько бы- вали первыми, кто не жалел оваций чужеземным шедеврам; достаточ- но вспомнить энциклопедистов, ополчившихся против Рамо и пред- почитавших ему трели заальпийских соловьев, или наших отечест- 423 венных вегетарианцев, с яростной враждебностью воспринявших «Пеллеаса». Поистине, французской музыке, чтобы занять причита- ющееся ей по праву место, пришлось дожидаться, когда слава осени г великую троицу Форе-Дебюсси-Равель. Но значит ли это, что до того наши музыканты не сумели блеснуть ни в одной из областей этого великого искусства?
Достаточно назвать в ряду самых прославленных опер «Армиду», «Дардана», «Осуждение Фауста». «Пенелопу», «Жан- ну на костре».
Стоит ли напоминать, каким симфонистом был Берли- оз, какими великолепными оркестровыми произведениями являются «Прелюдия» к «Послеполуденному отдыху фавна'» или вторая сюита из «Дафниса и Хлои»? Можно ли написать историю камерной музыки, не упомянув «Струнный квартет» Дебюсси или «Трио» Равеля? Мож- но ли обойти молчанием незабываемые мелодии Дюпарка, Форе, Шоссона?.. Но, пожалуй, нет смысла продолжать: чуть меньше сдер- жанности, напевность, не в такой мере идущая от сердца, чуть тяже- ловеснее оркестровка — и можно задаться вопросом, не были бы три- умфы французской музыки более частыми и не такими трудными… И в заключение несколько слов о том, в высшей степени социаль- ном искусстве, каким является искусство декоративное. Можно ли забыть о роли Франции с XVI по XX век в создании мебели, в которой удобство соперничает с изяществом и элегантностью? Отнюдь не слу- чайно некоторые стили названы по имени существовавших у нас по- литических режимов и королей — стиль Регенства, стиль Людовика XVI, стиль ампир вошли в международный словарь так же, как гобе- лены и декоративные ткани мануфактуры. Гобелен и вазы, изготов- ленные на Севрской мануфактуре, стали общим достоянием всех ху- дожников. L’ART GOTHIQUE DE Chateaubriand a Peguy, en passant par Victor Hugo et HUYSMANS, la cathedrale eothique a suscite toute une litterature. Et certes, les mots ne manquent pas pour celebrer ces immenses oraisons de pierre, que la foi medie- vale a lancees de la glebe vers le ciel…
Mais cette fois, l’architecture n’est pas seule en cause: les statues, les rosaces decoratives, les verrieres temoignent, elles aussi, en faveur d’un art presque surhumain a force de noblesse et de spiritualite. LA CATHEDRALE DE CHARTRES Cette basilique, elle etait1 le supreme effort de la matiere cherchant a s’alleger, rejetant, tel qu’un lest, le poids aminci de ses murs, les remplacant par une substance moins pesante et plus lucide, substituant a l’opacite de ses pierres l’epiderme diaphane2 des vitres.
Elle se spiritualisait, se faisait tout ame, tout priere, lorsqu’elle s’elancait vers le Seigneur pour le rejoindre; legere et gracile, presque imponderable, elle etait l’expression la plus magnifique de, la beaute qui s’evade de sa gangue’ terrestre, de la beaute qui se seraphise4. Elle etait grele et pale comme ces Vierges de Roger Van der Weyden qui sont si filiformes, si fluettes, qu’elles s’envoleraient si elles n’etaient en quelque sorte retenues -ici-bas par le poids de leurs brocarts5 et de leur traine. C’etait la meme conception mystique d’un corps fusele, tout en longueur, et d’une ame ardente qui, ne pouvant se debarrasser completement de ce corps, tentait de l’epurer, en le reduisant, en l’amenuisant, en le rendant presque fluide*. Elle stupefiait avec l’essor eperdu de ses voutes et la folle splendeur de ses vitres. Le temps etait couvert et cependant toute la fournaise de pierreries brulait dans les lames des ogives, dans les spheres embrasees des roses6 La-haut, dans l’espace, tels que des salamandres7 des etres humains, avec des visages en ignition8 et des robes en braises, vivaient dans un firmament de feu; mais ces incendies etaient circonscrits, limites par un cadre incombustible de verres plus fonces qui refoulait la joie jeune et claire des flammes, par cette espece de melancolie, par cette apparence de cote plus serieux et plus age que degagent les couleurs sombres. L’hallali9 des rouges, la securite limpide des blancs, l’alleluia repete des jaunes, la gloire virginale desbleus, tout le foyer trepidant des verrieres s’eteignait quand il s’approchait de cette bordure teinte avec desrouilles de fer, des roux de sauces, des violets rudes de gres, des verts de bouteille, des bruns 425 d’amadou10 des noirs de fuligine», des gris de cendre**. Et, ainsi qu’a Bourges, dont la vitrerie est de la meme epoque, l’influence de l’Orient etait visible dans les panneaux de Chartres, Outre que les personnages avaient l’aspect hieratique12, la tournure somptueuse ei barbare des figures de l’Asie, les cadres, par leur dessin, par l’agencemeni de leurs tons, evoquaient le souvenir des tapis persans qui avaient